Tout le monde éprouve essentiellement les mêmes besoins fondamentaux physiques et personnels. Donc, toutes les sociétés développent un certain nombre de conventions et autres ensembles de phénomènes culturels de base afin de pourvoir à ces besoins. Agir ainsi est commun à tout le genre humain, mais chaque culture a sa propre manière de faire les choses. Par exemple : chacun a besoin de nourriture, ainsi nos sociétés apprennent donc différents moyens de produire de la nourriture; tout le monde finit par mourir, nos sociétés développent donc des religions pour nous aider à faire face à cette réalité; chacun recherche le bonheur, nos sociétés organisent donc des événements musicaux et dansants; et, partout les gens tombent malades et, ainsi, nos sociétés traditionnelles développèrent donc leurs propres systèmes de médecine et, le Tibet ne fut pas une exception.
Le Tibet est un endroit unique, situé haut sur un plateau élevé, plutôt aride et, est isolé du reste du monde par les montagnes sur trois côtés ainsi que par de grandes rivières à l’est. Sa flore et sa faune, différant de celles du reste du monde, sont fort riches. Le Tibet connaît une civilisation développée depuis fort longtemps. Il y a environ quatre mille ans de cela, se trouvait une civilisation unique et isolée sur le plateau tibétain, et cette civilisation développa sa propre culture fondée en grande partie sur sa propre inspiration. Les Tibétains retracent plusieurs de leurs phénomènes culturels jusqu’à cette lointaine période appelée “Zhangzhoung” et jusqu’au fondateur original de leur civilisation, Teunpa Sherab. En ce qui concerne la médecine, on dit que Teunpa Sherab aurait enseigné la science de la médecine à huit disciples qu’on appelait “les huit sages de la médecine” et dont faisait partie l’un de ses huit fils, Kyébou Trishé. Toutes les formes de médecine tibétaine rencontrées aujourd’hui ont subi l’influence de cette forme ancienne de médecine. Plus particulièrement, l’analyse des propriétés médicales des plantes et des minéraux au Tibet provient de cette ancienne pratique. Plusieurs produits animaliers étaient aussi utilisés en ce temps là pour leurs propriétés médicinales et, cette tradition est toujours étudiée. La pratique consistant à utiliser des produits animaliers connut toutefois un sérieux déclin après le huitième siècle, puisque le commerce avec l’Inde permit de remplacer bon nombre de produits animaliers par des plantes puis, il y eut la propagation du bouddhisme qui inculqua l’interdiction d’enlever toute forme de vie. Certaines pratiques thérapeutiques physiques, encore en usage aujourd’hui, viennent directement de l’ancienne médecine tibétaine, ou sont une évolution de celle-ci au sein de la culture tibétaine.
Dans l’histoire de la propagation du bouddhisme au Tibet, le rapport avec l’Inde y est sérieusement décrit comme débutant au septième et plus particulièrement au huitième siècles. Cependant, dans les enseignements sur l’histoire de la médecine, les rapports avec l’Inde y sont décrits à compter du quatrième siècle. Dans ce temps là, un grand médecin indien vint s’établir au Tibet. Il s’appelait Bidji Gadjé, et fut disciple de l’influent maître de médecine Tchandrabhyananda, lui-même originaire du Cachemire. Grâce à lui, quatre lignées différentes de médecine indienne furent introduites au Tibet – en même temps que le grand commentaire indien sur la médecine – : une brahmanique, une bouddhique, une provenant d’une lignée d’ermites vivant en forêt et, une de sa propre tradition familiale. Il y épousa une Tibétaine et son enseignement ainsi que sa pratique purent se perpétuer grâce à leur fils, Dounggui Tortchok. Ce dernier, tandis qu’il utilisait la théorie indienne, faisait usage d’ingrédients locaux dans ses formules, amorçant ainsi la fusion des connaissances tant indiennes que tibétaines dans le domaine médical. Le Tibet adopta de l’Inde toute sa compréhension et ses connaissances de la physiologie et de l’embryologie, une théorie de traitement et une compréhension de la vie et de la mort selon les principes bouddhiques. Plusieurs textes furent traduits à partir de langues indiennes en tibétain; ces traductions sont préservées dans le “Tangyur”, ou l’ensemble des commentaires indiens, dont ils font partie. D’ailleurs, une partie de la pharmacopée tibétaine est en fait d’origine indienne. Au cours des septième et huitième siècles, le Tibet devint une nation politiquement dominante en Asie. À cette époque, deux grandes conférences, sous patronage royal, eurent lieu à Lhassa, afin de coordonner et de codifier la science de la médecine au Tibet. Les médecins venaient de toutes les contrées avoisinantes pour pouvoir assister à ces conférences, et des registres y contenant leurs instructions y étaient tenus. La dernière fut présidée par un grand médecin tibétain de son époque, Youtok Yonten Gonpo “l’aîné“. Il fut lui-même un descendant, et successeur, de l’enseignement de Bidji Gadjé. C’est au cours des dixième et onzième siècles que Youtok Yonten Gonpo “le cadet“, amena la science de la médecine au Tibet sous la forme que nous lui connaissons aujourd’hui. Il développa les “Quatre tantras de la médecine”, un ancien texte, sous la forme que nous lui connaissons aujourd’hui, fusion d’éléments indiens et tibétains; il a aussi écrit des commentaires et a beaucoup enseigné. Il était un maître bouddhiste réputé et un grand médecin, bien au-delà des frontières du Tibet. À la fin de sa vie, alors qu’il fut en train d’enseigner, il disparut dans le ciel. Certains éléments de la médecine tibétaine furent développés au fil des siècles par les maîtres tibétains, en commençant par les origines indigènes et se développèrent progressivement au cours de plusieurs siècles, intégrant possiblement certains éléments extérieurs. Ces aspects de la médecine tibétaine demeurent exclusivement tibétains. Les techniques qui consistent à rendre un diagnostic au moyen du pouls – pour lesquelles sont célèbres les médecins tibétains – ainsi qu’à l’aide d’une analyse d’urine se développèrent ainsi; tout comme le fit nombre de thérapies physiques. La manière dont sont combinées les herbes, afin d’obtenir des propriétés et des effets particuliers, est proprement tibétaine. Jusqu’au dix-septième siècle, l’apprentissage semble avoir été le principal mode d’étude de la médecine au Tibet. Bien que les noms de quelques écoles soient mentionnés dans de vieux registres, en majorité les médecins semblent avoir appris leur profession alors qu’ils furent en petits groupes d’étudiants rattachés à un maître, lequel ils servaient et de qui ils apprenaient. On retrouve encore ce mode d’apprentissage aujourd’hui dans le milieu traditionnel tibétain. Mais, depuis le dix-septième siècle jusqu’à ce jour, les écoles de médecine allaient devenir de plus en plus importantes et, de nos jours, la majorité des docteurs en médecine tibétaine ont étudié dans une école de médecine. Cependant, les diplômés demeurent toujours rattachés à un maître, afin de parfaire leur art avant d’être considéré comme pleinement qualifiés. Parmi les plus importantes écoles médicales au Tibet, on comptait le monastère de Tchagpori, à Lhassa (de 1696 à 1959). Là, les étudiants provenant de partout au Tibet étaient amenés au plus haut niveau de connaissance. Et, due principalement à l’étendue de son influence, la médecine tibétaine fut le système médical standard non seulement au Tibet, mais aussi partout dans toute la chaîne de l’Himalaya, en Mongolie et dans la plupart de la Russie d’Asie. En 1912, S.S. le Treizième Dalaï-Lama fonda le Mentseekhang (se prononce, Mènetsikang), ou l’Institut de Médecine et d’Astrologie, à Lhassa, afin d’assurer un service dans toutes les parties du pays. Sa descendance médicale et ses premiers maîtres vinrent de Tchagpori. C’était une institution fort importante jusqu’à sa fermeture, en 1959. De nos jours à Dharamsala, ainsi qu’à Lhassa, les instituts qui portent ce nom assurent la continuation de son lignage. Bien que le système médical tibétain ait été la cible de nombre de persécutions sous différents régimes communistes, certains maîtres ont réussi à survivre et ont ainsi pu en perpétuer le grand savoir. Aujourd’hui on retrouve des écoles dans l’Himalaya, au Tibet et en Mongolie, et des remèdes y sont préparés en quantités et en variétés toujours croissantes, et il s’y ouvre de plus en plus de cliniques.